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Les CPGE en questions 2. Coût réel d’un étudiant : dépasser les fausses évidences

Les CPGE en questions 2. Coût réel d’un étudiant : dépasser les fausses évidences
Par Eric Ghérardi
05.06.2023

Le coût public par étudiant en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) est un des critères périodiquement utilisés pour démontrer que ces voies de formation bénéficient d’un traitement privilégié, contrairement à l’université, présentée comme un lieu d’enseignement peu coûteux pour les deniers publics. Or, les critiques reposent souvent sur des fondements qui résistent mal à une analyse approfondie, si l’on compare l’effectivité et l’efficacité de la dépense publique moyenne par étudiant des CPGE et de l’université. 

Une dépense publique brute moyenne par étudiant plus élevée pour les CPGE que pour les universités

La dépense annuelle en matière d’enseignement supérieur en France est de l’ordre de 33,8 milliards d’euros, ce qui représente 20,3 % de la dépense intérieure d’éducation. Rapportée au nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur, elle correspond à un coût moyen annuel par étudiant de 11 580 euros (contre 11 140 pour l’enseignement secondaire). Malgré une hausse de la dépense totale (+12 % depuis 2010), cette dépense publique moyenne par étudiant est en baisse (-8 % depuis 2010), en raison de la hausse substantielle des effectifs, supérieure à 21 % sur la même période (chiffres du MESR pour 2020).

Cette dépense annuelle pour l’enseignement supérieur représente 1,4 % du PIB, soit une part très légèrement inférieure à la moyenne des pays membres de l’OCDE (1,5 %). La France se situe à ce titre dans un groupe de pays composé de l’Allemagne (1,2 %), l’Espagne (1,3 %) ou la Finlande (1,5 %), qui devance l’Italie (0,9 %) mais est nettement distancé par les États-Unis (2,5 %) ou le Royaume-Uni (2 %).

Elle est majoritairement constituée de dépenses en personnels, ce poste représentant 72,2 % de la dépense totale, à raison de 42,3 % pour les personnels enseignants et 29,9 % pour les personnels non-enseignants.

Dans cet ensemble, les statistiques officielles mettent en évidence une différence substantielle de coût entre un étudiant à l’université (10 100 €) et un étudiant en classes préparatoires aux grandes écoles (15 710 €). Cette information brute, systématiquement présentée en synthèse de l’ensemble des sources officielles (voir publications : états de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ; notes d’information de la DEPP ; notes d’information du SIES), ne rend pas compte de l’entièreté du paysage et introduit un biais d’analyse au regard de la dépense publique. 

La mise en opposition systématique du coût d’un étudiant à l’université au regard de celui d’un étudiant en CPGE s’effectue en effet au détriment d’une présentation exhaustive de l’information. Ainsi, le coût moyen d’un étudiant en section de technicien supérieur (STS) n’est par exemple jamais mis en exergue. Or, ce coût était en 2019 de 14 270 €, soit 40 % de plus que le coût moyen d’un étudiant à l’université, et donc très proche du coût d’un étudiant en CPGE (15 710 €).

De plus, cette mise en avant du coût moyen actuel de l’étudiant n’expose que trop rarement les composantes et les évolutions de ces coûts. Cet éclairage permet pourtant d’observer que l’université a concentré la plus forte croissance de la dépense publique par étudiant au cours des trente dernières années (+31,6 %), loin devant les STS (17,1 %) et les CPGE (+5,9 %). La baisse de la dépense publique moyenne par étudiant universitaire depuis 2013 s’explique quant à elle par une augmentation des effectifs accueillis à l’université (+10,2 %), qui dépasse largement la progression pourtant substantielle (+1,2 %) que la dépense publique a enregistré sur la période. 

Mais surtout, cette présentation de l’information ne rend pas compte des écarts d’efficacité de la dépense publique.

Une efficacité de la dépense publique bien meilleure pour les CPGE que pour l’université 

Interroger les taux de réussite

Sur le plan de l’usage des deniers publics, le critère d’efficacité économique de la formation, autrement dit la capacité de celle-ci à faire réussir les élèves, mérite tout autant d’être considéré que le coût moyen d’un étudiant selon sa formation. De fait, les CPGE se caractérisent par des taux de réussite très élevés dans les études longues auxquelles elles conduisent, alors que les chiffres de l’université sont nettement moins bons. Selon les chiffres du MESR (Note d’information du SIES de juillet 2020), parmi les inscrits en première année de cycle ingénieur, les étudiants issus de classe préparatoire (42 % des effectifs) étaient 91 % à passer en deuxième année, et 87 % à être diplômés en 3 ou 4 ans – soit un taux « d’échec » total (entendu comme diplôme non-obtenu à l’issue de 4 années d’études) de 13 % (chiffres portant sur les étudiants entrés en première année du cycle ingénieur pour la première fois en 2013, établissements publics et privés confondus). 

Ce taux d’échec des étudiants issus de CPGE est très faible par rapport à ceux observés dans les parcours suivis à l’université (MESR-DGSIP/DGRI-SIES, État de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation en France, n°15, mai 2022). La part des étudiants qui valident une licence en trois à cinq ans est en effet de 46 % (cohorte 2015) seulement. Les chiffres sont moins mauvais en deuxième cycle : près de 61 % de masters validés en deux ans (pour les inscrits en M1 en 2018) et près de 70 % en deux ou trois ans (pour les inscrits en M1 en 2017). Les taux d’échec universitaires sont donc compris entre 30 et près de 54 %, sur une durée allant jusqu’à +50 % de la durée théorique du cursus, contre 13 % chez les étudiants ingénieurs issus des CPGE, sur une durée allant jusqu’à +25 % seulement de la durée théorique de la formation.  

Ce différentiel majeur implique une inflexion dans la méthode. Pour une analyse pertinente, il faut comparer les coûts moyens des étudiants ayant réussi, et non une dépense totale divisée par un nombre d’étudiants dont plus de la moitié échouent.

Il faut en outre souligner que l’abandon en CPGE se traduit généralement par une réussite supérieure à la moyenne dans les parcours universitaires rejoints par les étudiants après cet abandon, notamment grâce aux acquis de méthode et aux habitudes de travail. 

Quel coût du premier cycle réussi ?

Dès lors qu’un étudiant inscrit dans un cycle d’enseignement supérieur peut y séjourner plus ou moins longtemps, selon la rapidité avec laquelle il accomplit son parcours et selon le succès obtenu in fine, le véritable critère d’évaluation de l’efficacité de la dépense publique doit être le coût d’une année d’enseignement supérieur réussie. À défaut, on compte indistinctement les redoublements, triplements et abandons, qui multiplient le coût de chaque année d’études.

Le calcul de la dépense publique effective pour une année d’études supérieures réussie amène à l’observation suivante : le coût moyen annuel d’une CPGE réussie est de 20 685 euros, substantiellement en-deçà de celui d’une année universitaire de premier cycle réussie, qui est de 25 820 euros. 

En effet à l’université, pour amener 46 personnes au diplôme de licence (taux de réussite officiel d’une cohorte en 3, 4 ou 5 ans précédemment mentionné), il faut former 157 personnes années, soit une moyenne de 3,41 années à 10 440€/an[1],  tandis que pour amener 87 % des étudiants de 2e année de CPGE à l’intégration dans une école dont ils seront diplômés alors que 90 % des inscrits en première année passent en deuxième année (chiffres 2021, commission amont CGE) et que les 2/3 des deuxièmes années intègrent directement (lesdits 3/2), 1/3 d’entre eux effectuant une seconde deuxième année (lesdits 5/2), il faut en moyenne 2,65 années de CPGE pour intégrer[2].

On pourrait poursuivre le raisonnement et le calcul avec le deuxième cycle, où le taux de réussite en master était, en 2020, de 60,8 % en 2 ans (inscrits en 2018) et 69 % en 3 ans (inscrits en 2017) pour deux années de formation (MESR-DGSIP/DGRI-SIES, État de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation en France, n°15, mai 2022), tandis que le taux de réussite à l’issue du parcours d’ingénieur est de 91 % en 3 ou 4 ans pour 3 années de formation, la 4e année se justifiant le plus souvent par une expérience préprofessionnelle. (MESR, Note d’information du SIES de juillet 2020). 

La conclusion de cette brève analyse est simple : pour la dépense publique, la formation d’un étudiant en CPGE est moins chère que celle d’un étudiant de premier cycle universitaire, dès lors que l’on s’intéresse au critère de l’étudiant qui a réussi ses études. Le critère de la rentabilité pour l’économie nationale, voire pour l‘utilité collective, qui n’est pas pris en compte ici, ne ferait d’ailleurs que renforcer les conclusions de cette analyse économique par les coûts. La prise en compte d’un critère de promotion sociale ne ferait du reste que renforcer cette conclusion dès lors qu’on considère que les études réussies et non les études en soi sont le vecteur essentiel de cette promotion. 

[1] Calcul effectué à partir des statistiques du MESR de 2022 qui établissent à 32% le taux de réussite de la licence en 3 ans, les 14 % restant ayant été répartis sur un partage favorable de 9 % obtenant la licence en 4 ans et 5 % l’obtenant en 5 ans. Dès lors, le nombre de personnes années pour obtenir 46% de diplômés est de (32x3)+(9x4)+(5x5), soit 157 personnes années, soit 3,41 années en moyenne nécessaires pour une licence. Le coût total de la licence réussie est donc de 1/0.46 x 3,41 x 10440 =77 461€, soit 25 820€ par année universitaire réussie.

[2] Le coût moyen d’une prépa réussie est bien de (15 730) *(1/0,9 + 1/0.87 (0,66x15 730) + 2/0,87(0,33x15 730) = 15 730 x (1,11+0,76+0,76) = 41 370 €, soit 20 685€/an.

Lisez l'Essentiel Paxter consacré à la question : "Les CPGE, une originalité française"
Par Eric Ghérardi
05.06.2023
Voir les références

Beretti P-A., Drégoir M., Landreau A. , octobre 2020, « 161 milliards d’euros consacrés à l’éducation en 2019 : 6,6 % du PIB », n°20.35, DEPP-MENJS

« Le Compte de l’éducation. Principes, méthodes et résultats pour les années 2006 à 2014 ». Les dossiers de la DEPP, n°206 - avril 2016, MENESR DEPP 

« L’état de l’école 2020 », fiches 8 à 11, MENJS-MESRI-DEPP, novembre 2020

« L’état de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en France 2021 », fiche 1, MESRI-SIES, avril 2021

https://www.education.gouv.fr/en-2019-le-cout-moyen-par-etudiant-est-de-11-530-euros-322990