Dans un article publié le 2 juillet 2025 dans Les Echos, la journaliste Marie-Christine Corbier décrypte les résultats de l’étude mondiale "Enseignement supérieur, revenu & employabilité", menée par Paxter, société de conseil en stratégies académiques et en ingénierie pédagogique. Cette publication accessible à tous, fruit de dix ans de recherche, analyse des données économiques, démographiques et éducatives de 80 pays représentant plus de 90 % de la jeunesse mondiale. L’étude établit que l’idée selon laquelle il faudrait diplômer plus pour faire baisser le chômage est infondée.
Pierre Tapie jette un pavé dans la mare. L'ex-président de la Conférence des grandes écoles, qui dirige le cabinet de conseil Paxter, publie le mercredi 2 juillet 2025 une étude comparative mondiale sur les liens entre enseignement supérieur, revenu et employabilité. Cette enquête, que Les Echos ont pu consulter, fourmille de statistiques et propose une analyse contre-intuitive.
"Il n'est pas vrai de dire que l'accès toujours plus grand à l'enseignement supérieur a des conséquences positives sur le développement économique ou sur l'emploi, assure Pierre Tapie. Le discours politique selon lequel 'plus il y a de gens diplômés, mieux c'est' est infondé."
La réflexion des trois auteurs de l'étude - Pierre Aliphat, Nikola Damjanovic et Pierre Tapie - est partie des printemps arabes. En 2011, "sur la rive sud de la Méditerranée, le taux de chômage des jeunes diplômés était en moyenne supérieur de 50 % à celui des jeunes en général, soulignent-ils. Avoir un diplôme semblait éloigner de l'emploi." Combiné à des "libertés civiques insuffisantes", le cocktail explosif va déboucher sur une année de révolutions dans le monde arabe.
"Dissonance"
Pendant ce temps, en France, nous étions "baignés de l'affirmation d'évidence qu'augmenter l'accès à l'enseignement supérieur était le chemin nécessaire pour [diminuer le] chômage et doper la croissance économique", rappelle l'étude.
Cette "dissonance" entre le sud de la Méditerranée et le discours en France marque le début d'une recherche qui va durer dix ans, au cours de laquelle les auteurs épluchent des échantillons statistiques représentant plus de 90 % de la jeunesse mondiale (88 à 140 pays selon les indicateurs). L'enquête soulève notamment deux grandes questions : plus le taux d'accès à l'enseignement supérieur d'un pays est élevé, plus est-il riche ? Et plus ce taux est élevé, moins y a-t-il de chômage ?
Les auteurs observent que l'accès à l'enseignement supérieur et la richesse d'un pays sont très liés, mais seulement jusqu'à un certain niveau de développement, autour de 15.000 dollars de PIB par habitant (en parité de pouvoir d'achat). Ces pays ont besoin d'une main-d'œuvre plus qualifiée pour se développer.
En revanche, à partir de 20.000 dollars de PIB par habitant, tout change. Par exemple, le Botswana et l'Argentine ont un niveau de PIB similaire. Pourtant, le premier a un taux d'accès à l'enseignement de l'ordre de 25 % et le deuxième, de 85 %, souligne Pierre Tapie - "Il n'est donc pas vrai de dire que, plus un pays a une proportion élevée d'étudiants dans le supérieur, plus il est riche."
"Le défi, dans les pays riches, est celui de l'employabilité de ceux qui sont faiblement diplômés."
Pierre Tapie, cofondateur du cabinet Paxter
La relation entre enseignement supérieur et taux de chômage conduit ensuite les auteurs à montrer que, dans les pays riches, une hausse du taux d'accès à l'enseignement supérieur a tendance à… augmenter le taux de chômage moyen.
L'étude classe les pays en cinq catégories, selon leur développement économique. Dans un premier groupe de 14 pays, dont le PIB moyen oscille autour de 6.500 dollars par habitant (Mauritanie, Mali, Niger, Egypte…) et où le taux de chômage des jeunes diplômés est de l'ordre de 40%, le diplôme "éloigne dramatiquement de l'emploi", indique le document.
À l'autre extrême, dans le groupe des pays les plus riches (Canada, Etats-Unis, Australie, Allemagne…), où le PIB par tête est de l'ordre de 57.000 dollars et le taux d'accès à l'enseignement supérieur à 58 %, le taux de chômage des jeunes diplômés s'établit à 7,5 %. "Ces pays ont un chômage contenu avec une économie plus riche et un accès à l'enseignement supérieur plus faible qu'en France", soulignent les auteurs.
La France se trouve dans un autre groupe de pays qui présente un taux d'accès à l'enseignement supérieur plus important (70 %) pour un taux de chômage des jeunes diplômés de 12 %.
"Le défi, dans les pays riches, est celui de l'employabilité de ceux qui sont faiblement diplômés, insiste Pierre Tapie. C'est faux de dire qu'augmenter l'accès à l'enseignement supérieur va diminuer le chômage."
Il cite la Suisse, l'Allemagne ou les Pays-Bas qui envoient moins d'étudiants dans l'enseignement supérieur et forment davantage d'ouvriers spécialisés.
Un risque d'instrumentalisation
En creux, l'étude pose la question d'amener plus de 80 % d'une génération au niveau du bac et interroge la voie professionnelle. "La France n'a pas su en faire une voie de réussite", regrette Pierre Tapie. L'ancien président de la Conférence des grandes écoles plaide pour qu'il y ait "davantage de cohérence entre le flux d'étudiants entrant dans une formation et le fait qu'elle conduise ou non vers l'employabilité". Mais l'étude ne dit pas comment faire…
Au moment où le gouvernement français est à la recherche de coupes budgétaires, certains pourraient être tentés de faire des économies sur l'enseignement supérieur. Pierre Tapie admet "un risque réel et sérieux d'instrumentalisation" tout en balayant cette idée.
"Non ! lance-t-il. L'enseignement supérieur français est radicalement paupérisé, les taux d'encadrement sont mauvais, je milite pour un investissement plus élevé, mais ce n'est pas parce qu'on investit plus qu'il faut y mettre davantage d'étudiants. Je pense même qu'il faut moins d'étudiants."
Le déclin de la démographie étudiante doit toucher la France d'ici à 2030. Pour Pierre Tapie, c'est "une opportunité d'avoir de bons taux d'encadrement et des étudiants adaptés aux enseignements qu'ils reçoivent".
Marie-Christine Corbier,
article paru dans Les Echos,
2 juillet 2025
Nous remercions chaleureusement Les Échos pour leur autorisation de publication, qui nous permet de rendre cet article intégralement accessible sur le site internet de Paxter.
Consulter l'étude (formats pdf et e-book)