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Compétences clés et perspectives éducatives : quel leadership pour demain ? (3/5)

<p>Compétences clés et perspectives éducatives : quel leadership pour demain ? (3/5)</p>
Par Pierre Tapie
04.11.2025

Dans cette interview menée par Jennifer Alidor, fondatrice du programme ClevHer AI, Pierre Tapie - cofondateur et président de PAXTER, un cabinet de conseil en stratégies académiques et en ingénierie pédagogique - prolonge sa réflexion sur les grandes transformations dans l’éducation, la vie professionnelle et l’exercice des responsabilités.

Après avoir questionné les corrélations étonnantes entre diplôme et emploi, le rôle déterminant de la créativité pédagogique, les défis des savoirs fondamentaux et de l'apprentissage face à l’IA, ainsi que les enjeux autour de la mixité, Pierre Tapie partage ses expériences de leadership et interroge les fondements de la légitimité à diriger. Pour ouvrir des pistes stimulantes afin de repenser les ambitions, les parcours et les formes de réussite de demain.

Ne réduisons pas l’accès aux responsabilités à une question de genre

Vous m’interrogez sur les raisons pour lesquelles certaines femmes n’accèdent pas à des postes de direction, mais je suis toujours un peu réticent face à cette formulation. Elle suppose implicitement qu’il existerait des freins intrinsèques aux femmes, comme s’il fallait comparer deux catégories homogènes - les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Or, la réalité est beaucoup plus complexe. Les trajectoires professionnelles sont très diverses et façonnées par des histoires personnelles, des contextes, des choix de vie et des aspirations très différentes. On ne devient pas dirigeant parce que l’on est une femme ou un homme, on le devient parce que l’on en a à la fois l’envie, les compétences et la capacité à assumer un certain type d’exposition et de charge mentale.

Je pense qu’il faut être très vigilant face à une tentation : celle de promouvoir des personnes, femmes ou hommes, "par principe". Toute forme de militantisme, aussi noble soit-elle dans son intention, devient contre-productive lorsqu’elle conduit à placer des personnes dans des fonctions auxquelles elles ne sont ni prêtes ni adaptées. J’ai été témoin de situations où des femmes ont été choisies principalement pour promouvoir la parité et elles se sont retrouvées en difficulté opérationnelle et exposées à une critique intense. Cela ne rend service ni aux personnes concernées ni, surtout, à la cause de l’égalité, car cela finit par décrédibiliser la place des femmes dans les fonctions de direction...

Cela étant dans des secteurs où les femmes sont rares en responsabilité, faire et donner confiance, coacher, montrer que c’est possible, peuvent accélérer utilement l’arrivée des femmes aux responsabilités, en diminuant notamment le risque du syndrome d’imposteur.

Bonne nouvelle : tout le monde n’est pas fait pour être dirigeant

Un autre point me semble essentiel : tout le monde n’est pas fait pour être directeur général ou directrice générale. Et cela n’a rien de problématique. Il existe des profils extraordinaires qui excellent dans des fonctions de numéro 2, de pilotage opérationnel, de très haute expertise métier ou technique. D’autres, en revanche, vivent la responsabilité ultime comme une source d’inquiétude permanente qui finit par altérer leur performance. Et cela vaut pour des femmes comme pour des hommes.

Il faut aussi accepter que certaines personnes, en pleine conscience, n’aient tout simplement pas le désir d’exercer un pouvoir hiérarchique élevé. Elles trouvent leur accomplissement ailleurs (dans la créativité, l’innovation, la transmission ou l’expertise) et cette liberté de ne pas vouloir "être chef" est en soi une forme de maturité. Ainsi, je vois parfois un paradoxe dans la promotion du leadership féminin : celui d’encourager les femmes à intérioriser des modèles très masculins du pouvoir, comme si réussir impliquait nécessairement d’en adopter les codes. Or, il existe une immense diversité de talents et de formes de réussite, et il serait dommage de les appauvrir en les réduisant à un modèle unique de leadership.

Les compétences essentielles du leader de demain

Si on prend un peu de recul, la vraie question n’est pas tant de savoir qui doit accéder aux responsabilités aujourd’hui, mais plutôt : quelles seront les compétences attendues des leaders de demain ? À mes yeux, le leadership futur - et déjà très actuel - repose sur un équilibre exigeant entre plusieurs dimensions.

D’abord, une compétence solide et incontestable dans un certain nombre de champs. Un leader doit pouvoir s’appuyer sur des savoirs réels, vérifiables, observables, sur lesquels sa légitimité ne peut être remise en cause. Ensuite, une capacité d’audace, de créativité et d’invention de l’avenir. Dans notre monde qui vit de profonds bouleversements, renforcés par l’arrivée de l’IA, la capacité à sortir de l’existant pour imaginer des voies innovantes devient encore plus essentielle.

Mais cette audace ne suffit pas. Le leadership de demain suppose aussi l’envie de faire avec les autres. Le mythe du génie solitaire n’a pas d’avenir. Ce qui compte, c’est la capacité à embarquer son équipe, à construire une aventure collective, à donner du sens et à entraîner les siens dans des projets partagés. Cette aptitude à conjuguer vision, coopération et engagement humain est rare, précieuse et elle ne se décrète pas.

Courage, empathie et intelligence collective : une équation exigeante

Enfin, les leaders de demain devront être capables de tenir une équation délicate. Ils devront savoir prendre des décisions courageuses, parfois difficiles et impopulaires, tout en conservant une réelle capacité d’écoute, d’empathie et de compréhension. Ce sont des profils capables d’allier fermeté et sensibilité, lucidité stratégique et intelligence relationnelle.

Ces qualités sont souvent perçues comme plus spontanément présentes chez les femmes – mon expérience et mon observation tendent à le confirmer - mais elles ne leur sont évidemment pas réservées. De nombreux hommes savent également mobiliser cette part d’intuition, d’attention à l’autre et de finesse relationnelle. Ce qui fera la différence demain, ce ne sera pas le genre, mais la capacité à conjuguer compétence, courage, créativité et humanité. Trouver cet équilibre est exigeant, mais c’est aussi ce qui rend le leadership profondément intéressant.

Par Pierre Tapie
04.11.2025