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Que penser des « écoles normales du XXIe siècle » annoncées au sommet de l'État ?

Que penser des « écoles normales du XXIe siècle » annoncées au sommet de l'État ?
Par Samia Boudjelloul & Pierre Tapie
16.04.2024

Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé, en janvier dernier, « une réforme de la formation initiale des enseignants pour construire les écoles normales du XXIe siècle ». Début avril, c’est le Président de la République en personne qui a confirmé le lancement de cette réforme et précisé son contenu. En résumé : les futurs professeurs des écoles seront désormais recrutés par concours à la fin de leur L3, puis formés au métier pendant deux années au sein des Inspé, les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation. Le calendrier de mise en place de la réforme n’est pas encore précisément fixé. 

La décision majeure que comprend cette réforme consiste à avancer de deux années le moment du recrutement des futurs enseignants du premier degré, ce qui constitue un revirement complet au regard de la réforme de juillet 2019. Les épreuves du concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) seront en effet présentées par des étudiants en fin de licence (L3). C’est le niveau de recrutement qui avait été fixé par la réforme Jospin de 1989 et maintenu au cours des vingt années suivantes, avant que la réforme Sarkozy-Darcos de 2008, dite de la « masterisation », n’enclenche un cycle de surenchère qui a finalement conduit à positionner le CRPE, à partir de la session de 2022, à l’issue du M2.

L’appellation « d’écoles normales du XXIe siècle » reflète quant à elle l’ambition de cette réforme de recréer une filière complète de formation des futurs professeurs des écoles, dès après le baccalauréat. Les éléments à ce jour connus sont les suivants :
> Les bacheliers auront la possibilité d’intégrer une licence conçue comme « une forme de prépa intégrée », selon les mots du Président.
> Le CRPE sera ouvert à tous les titulaires d’une licence généraliste.
> Les lauréats du concours, quelle que soit leur origine, poursuivront leur parcours dans le cadre d’un master professionnalisant.
En d’autres termes, il s’agit pour l’État de rebâtir un dispositif de formation dans lequel le passage par l'Inspé - l'école normale "ressuscitée" - sera obligatoire, significatif et diplômant, et qui fera du parcours intégré de cinq ans en Inspé la voie « naturelle » et majoritaire pour accéder au métier de professeur des écoles. Ce virage marque de fait un retour à l’esprit de la formation en école normale qui a prévalu sur la période 1881-1969 (les modalités ayant connu d’importantes variations), à savoir : l’école normale prépare à l’examen ou au concours dont l’obtention est une condition sine qua non pour exercer le métier d’enseignant du premier degré puis, le cas échéant, l’école normale assure la formation professionnelle.

L’enjeu premier de la réforme consiste à remédier à la crise de recrutement que subit la profession depuis une quinzaine d’années, afin notamment de limiter le recours à des contractuels dans les académies sinistrées et de relever le niveau de sélectivité du CRPE, qui s’est effondré avec la masterisation. Comme un précédent article de Paxter l'a déjà mis en lumière, il est en effet urgent de mieux recruter. Or, une plongée historique dans l’histoire de la formation des enseignants du premier degré révèle que, au cours des deux siècles écoulés depuis que celle-ci est devenue une affaire d’État, une seule période a connu un équilibre entre l’offre de postes et la demande : la double décennie 1989/92-2010/12. À la faveur de la réforme Jospin, qui a élevé le moment du recrutement au niveau L3 tout en augmentant la rémunération de ces fonctionnaires (passage de la catégorie B à la catégorie A), la France pourvoyait la totalité des postes de professeurs des écoles offerts, au moyen d’un concours auquel le taux de réussite a grosso modo oscillé entre 15 et 23 % – contre des taux jamais inférieurs à 31 % depuis 2013, et ayant à plusieurs reprises dépassé les 40 %…

Sans ignorer ni nier les nombreux déterminants conjoncturels et sociétaux qui affectent négativement l’attractivité de la profession, l’étude conduite par Paxter met en lumière la force d'un système qui sait situer le curseur entre niveau du recrutement et niveau de la rémunération à un juste point. Il y a fort à parier que la réforme annoncée, dont les contours avaient déjà été largement ébauchés par le précédent ministre de l’Éducation Pap Ndiaye, permettra, en reconnaissant et en rémunérant des fonctionnaires-stagiaires dès après l’obtention de leur licence, de renouveler les profils attirés par l’enseignement, tout en limitant « l’évaporation » des potentielles recrues vers des secteurs (beaucoup) plus rémunérateurs pour des titulaires d’un bac+5.

Ces décisions conjuguées:
1. de création d’une licence spécifique préparant au concours au niveau L3
2. d’une possibilité pour des étudiants issus d’autres licences de présenter le CRPE
3. d’une rémunération significative pendant la période de formation suivant le prérecrutement, en Inspé,
retrouvent l’inspiration de la réforme Jospin, et devraient oeuvrer à améliorer le niveau d’attractivité du métier. Il restera à vérifier - il faudra plusieurs années pour cela - qu’elles contribuent aussi à relever le niveau moyen de goût pour les sciences de ceux qui choisissent de devenir professeur des écoles. Les contenus pédagogiques de la « classe préparatoire » évoquée par le Président gagneront à être construits en intégrant cette ambition.

Lisez l'Essentiel Paxter consacré à la question La formation des enseignants du premier degré
Par Samia Boudjelloul & Pierre Tapie
16.04.2024